Quelque 46 millions de Thaïlandais sont appelés aux urnes dimanche pour des législatives boycottées par l'opposition. Voici quelques clefs pour décrypter ce scrutin perturbé.
Les manifestants ont bloqué en amont l'acheminement des bulletins de vote. Au total, les bureaux de vote n'ont ainsi pas pu ouvrir dans plus de 10% des 375 circonscriptions du pays.
Dimanche dernier, pour le vote par anticipation, leur stratégie a été différente: ils avaient bloqué directement les bureaux de vote. Au total, 440.000 des 2 millions d'électeurs inscrits pour le vote anticipé ont été empêchés de voter. Un scrutin de remplacement est prévu le 23 février.
Il s'agit de renouveler pour quatre ans une chambre basse de 500 sièges. Mais le Parlement ne pourra de toute façon pas se réunir, faute d'un quorum de 95% de députés. Et seuls des résultats partiels sont attendus dimanche soir.
Deux raisons à cela: la non-organisation du vote dans plus de 10% des circonscriptions, qui s'ajoute à l'absence de candidats dans plusieurs circonscriptions (les manifestants ayant bloqué l'enregistrement de leurs candidatures).
En tout, plus de 2.400 candidats de 53 partis se sont affrontés, en l'absence du Parti démocrate, principale formation d'opposition, qui boycotte ce scrutin.
Les dernières élections de juillet 2011 avaient été largement remportées par le parti Puea Thai de la Première ministre Yingluck Shinawatra. Celui-ci a toutes les chances de l'emporter à nouveau, sur le papier.
Cela ne résoud néanmoins pas le conflit profond qui divise la Thaïlande, avec deux tendances souvent résumées à "chemises rouges" contre "chemises jaunes".
Les "chemises rouges", partisans de Thaksin et du Puea Thai, réunissent notamment les électeurs du nord et du nord-est, dans la région rurale de l'Isan. Leur poids démographique (1/3 de la population de la Thaïlande vit en Isan) a fait le succès de Thaksin.
Les manifestations des "chemises jaunes" royalistes ont été un élément clé du putsch de 2006 et ont aidé à chasser du pouvoir deux Premiers ministres pro-Thaksin en 2008.
L'organisation a largement perdu de son pouvoir, mais d'anciens "jaunes" participent au mouvement actuel, alliance hétéroclite d'ultra-royalistes, d'élites de Bangkok, d'habitants du sud du pays et de partisans des Démocrates.
Un projet de loi d'amnistie qui aurait permis le retour de Thaksin a mis le feu aux poudres fin octobre 2013. Malgré le rejet du texte par le Sénat, la colère a pris de l'ampleur.
Les manifestants réclament la tête de Yingluck, qu'ils accusent d'être une marionnette de son frère, la fin du "système Thaksin" qu'ils associent à une corruption généralisée, et la mise en place d'un "conseil du peuple", non élu, le temps de réformes avant de possibles élections, pas avant un an.
1. Pas de nouveau Parlement avant des mois. Seuls des résultats partiels sont attendus dimanche soir. Le gouvernement actuel continuerait à expédier les affaires courantes, continuant à appeler en vain l'opposition à négocier.
2. Intervention judiciaire. La Cour constitutionnelle pourrait invalider les résultats des élections, comme elle l'avait fait pour celles d'avril 2006, boycottées par les Démocrates.
Un nouveau "coup d'Etat judiciaire" est également possible, comme fin 2008. La justice avait alors forcé le Premier ministre pro-Thaksin à la démission et dissous son parti, permettant l'arrivée au pouvoir des Démocrates.
Aujourd'hui, de nombreux élus du Puea Thai sont menacés par une interdiction de politique pour cinq ans, en raison d'une tentative de réformer la Constitution. Et Yingluck est visée par une enquête de la commission anticorruption liée à un programme controversé d'aide aux riziculteurs.
3. Coup d'Etat militaire, comme en 2006. Un scénario qui n'a rien d'exceptionnel dans un pays qui en a connu 18, réussis ou non, depuis 1932. Le puissant chef de l'armée de terre a refusé d'exclure cette possibilité. Ce scénario risquerait de renvoyer les "rouges" dans la rue.
bur-dth/glr