Le Maïdan est en flammes: la place de l'Indépendance de Kiev rougeoie, réverbérant le mur de feu érigé par les manifestants pour empêcher les policiers d'avancer jusqu'au dernier réduit qu'ils occupent encore.
Encore nombreuse, alors qu'il est presque une heure du matin, la foule des opposants au président Viktor Ianoukovitch, qui atteint plusieurs milliers de personnes, attend avec anxiété l'assaut final des forces antiémeute redoutées, les Berkout, qui semble inévitable.
Derrière le rideau de flammes, une barricade humaine doit suppléer aux fortifications qui n'ont pas pu empêcher l'avance des forces de l'ordre: des opposants, casqués, équipés de gourdins et de boucliers en métal semblables à ceux des policiers, forment une première ligne de défense.
Derrière eux, des cohortes de volontaires s'emploient avec ardeur à dépaver les trottoirs du Maïdan, remplissant des cageots en plastique.
Un jeune homme transfère avec soin le contenu d'un fût dans des bouteilles en verre pour préparer des cocktails molotov.
"Quoi qu'il arrive, nous devons défendre le Maïdan, jusqu'au bout", explique Petro Oliïnyk, un homme d'une cinquantaine d'années venu du centre de l'Ukraine.
La place, occupée depuis trois mois par les opposants au président Viktor Ianoukovitch, qui y ont planté des dizaines de tentes, défendues par des barricades, est devenue le symbole de la contestation en Ukraine.
Même l'imposante Maison des Syndicats, qui surplombe la place et avait été transformée en quartier général par les différents partis et mouvements d'opposition, et qui était le dernier bâtiment occupé par les manifestants, échappe désormais à leur contrôle.
Un incendie s'y est déclaré et tous ceux qui se trouvaient à l'intérieur l'évacuent en toute hâte. L'écran géant sur sa façade qui retransmettait ce qui se passait sur le podium installé au centre du Maïdan reste noir.
Un jeune se fait soigner une coupure au visage par un infirmier vêtu d'une chasuble arborant une croix rouge, pendant que d'autres pleurent sous l'effet des gaz.
Les affrontements, qui ont débuté près du parlement avant de gagner le Maïdan, ont fait au moins neuf morts parmi les civils, selon l'opposition, tandis que les autorités font état de sept policiers tués.
"Si l'on veut que l'Ukraine reste unie, le pouvoir doit négocier", veut croire Volodimir, 38 ans, alors que dans le bastion nationaliste de Lviv (ouest), des opposants ont pris d'assaut le siège de l'administration et de la police, en solidarité avec les manifestants de Kiev.
L'un des responsables de l'opposition, l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, a expliqué à la foule qu'il se rendait à la présidence pour tenter de raisonner Viktor Ianoukovitch, vivement critiqué mardi soir par les Etats-Unis et plusieurs dirigeants européens.
Conséquence de ces réactions ou stratégie délibérée, sur le Maïdan, les policiers ont stoppé leur progression et n'utilisent pas leurs canons à eau pour éteindre les flammes qui se dressent devant eux.
Mais le foyer doit être alimenté en permanence, à l'aide de tout ce qui tombe sous le main: planches de bois, pneus qui dégagent une fumée noire qui se fond dans la nuit, morceaux d'écorces d'arbres.
Des détonations résonnent incessamment en provenance des rangs des forces de l'ordre: tirs de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes et parfois de balles en caoutchouc.
La riposte prend la forme de projectiles variés: pavés et cocktails molotov bien sûr, mais aussi fusées de détresse et feux d'artifice.
Equipés de porte-voix, les policiers avaient demandé aux femmes et aux enfants de quitter les lieux, évoquant le déclenchement d'une "opération antiterroriste", avant d'entamer leur progression.
Les manifestants les plus déterminés sont restés, des jeunes radicaux, des membres de groupes organisés de manière paramilitaire, mais aussi des hommes et femmes dans la fleur de l'âge, et même des prêtres en robe noire récitant des prières.
Tous entonnent régulièrement l'hymne national pour se donner du courage.
"Si on tient le coup jusqu'au matin, on a une chance de s'en sortir", espère l'un d'eux.
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